Alexandre Chartier a installé ses bureaux au sein du Wattignies Social Club, espace expérimental situé sur la désormais très branchée Ile de Nantes. Le lieu – destiné dans quelques années à la démolition – est sommaire : ancien garage sans chauffage, peu de confort, quelques bus vintage en guise de lieux de réunions… mais une multitude de projets qui pourraient faire évoluer nos façons de travailler et de consommer. Fondateur à Nantes de Ornikar en 2013, défini à l’époque comme le « Uber de l’enseignement de la conduite », l’entrepeneur a connu le parcours « classique » de la start-up à succès – levées de fonds, médiatisation – avant de sortir de l’aventure, estimant que l’entreprise ne répondait plus aux objectifs qu’elle avait définis lors de sa création. « Si c’était à refaire, je ne chercherais pas nécessairement à « disrupter » un marché mais plutôt à proposer aux acteurs de ce secteur des solutions technologiques qui le rendraient plus conforme à la demande des utilisateurs », expliquait-il quelques mois après son départ.
Sortir d’Uber
Depuis, Alexandre Chartier a réfléchi aux enjeux de l’ubérisation, tant du côté des consommateurs que des travailleurs indépendants. Aux côtés de Stéphane Juguet, anthropologue et directeur de l’agence What time is IT, il accompagne notamment les Coursiers Nantais, association qui regroupe d’anciens de la plateforme de livraison Deliveroo. Lassés par leur travail en mode « Uber », ils ont ainsi inventé une autre façon de poursuivre leur activité. « Au Wattignies Social Club, différents acteurs nantais travaillent sur les problématiques de circuit court et de transport décarboné, explique Alexandre Chartier. La livraison à vélo pourrait devenir un maillon de la chaîne d’une ville plus responsable. L’idée pour les Coursiers Nantais est de se réapproprier leur moyen de production et de sortir de la fragilité de l’auto-entrepreneur. Avoir un lieu ou l’on se retrouve pour se réchauffer, prendre un café, echanger avec ses pairs… est déjà une grande avancée pour des personnes qui avaient peu de lien avec les autres ». Soutenu par la SAMOA (Aménageur de l’ile de Nantes), le Wattignies Social Club est un véritable laboratoire pour la ville : « On peut imaginer que dans quelques années, certains lieux, les rez-de-chaussée d’immeubles par exemple, deviendront des espaces de « co-working » pour des personnes en mobilité : taxi, coursiers, livreurs… »
Coopérative
Inscrit dans cette mouvance de la post-uberisation, Alexandre Chartier a lancé fin 2018 une nouvelle plateforme qui souhaite à nouveau bousculer le marché de l’apprentissage de la conduite. Mais pas question de marcher dans les pas d’Ornikar, l’entrepreneur a changé son fusil d’épaule et imaginé un modèle inspiré des coopératives : « Avec Permicoop.fr, l’idée est de mettre à disposition des travailleurs indépendants un service et une structure qui leur appartient. Pour intégrer la plateforme – outre un ticket d’entrée autour de 1000 euros – chaque auto-entrepreneur s’engage à reverser 10 % de son chiffre d’affaires ». Et l’aspect disruptif du projet est là : cette part n’abondera pas un fonds de pension californien mais retournera dans la coopérative, pour entretenir l’outil de travail commun. « On inverse aussi le paradigme en termes de motivation et de sens. Quand on travaille pour un organisme qui nous appartient, la motivation est beaucoup plus forte, l’activité a un sens. Je pense qu ce modèle peut être dupliqué dans d’autres secteurs d’activité ». Pour la première année de fonctionnement, l’entrepreneur espère fédérer une centaine d’enseignants de la conduite autour de son projet.
Financement
« Evidemment, je n’envisage pas le développement de ce type de modèle comme celui d’une start up classique, à coup de levées de fonds. La croissance doit être mesurée. On pourra éventuellement se rapprocher de partenaires comme de grands groupes d’assurances et de mutuelles ». Alexandre Chartier souhaite également sortir du tout technologique des plateformes de services : « Permicoop invente un modèle d’entreprise qui utilise le numérique, mais la technologie n’en est pas le centre. Dans beaucoup de projets, elle arrive trop tôt et on la met trop en avant. Il faut remettre des idées et de l’humain au coeur de la machine ». Sans pour autant mettre en avant le caractère responsable de l’entreprise : « Le client final, il attend un prix et de l’efficacité. C’est ce qu’on lui apportera. La dimension sociétale du projet, c’est un petit supplément d’âme mais pas un argument commercial. Et une entreprise qui affiche trop sa bannière RSE, c’est qu’elle a peut-être un manque dans ce domaine ». L’entreprise pourrait également faire évoluer le parcours et la formation des indépendants : « Les moniteurs d’auto-école qui rejoindront la plateforme pourront évoluer vers d’autres fonctions s’ils le souhaitent. Ils pourraient se tester sur les métiers du marketing ou du web par exemple. C’est aussi de cette façon que j’envisage cette nouvella aventure. »